Malheureusement, à la différence du mode de travail qui caractérisera plus tard “La Belle au bois dormant” et “Casse-Noisette”, le compositeur ne collabore pas directement avec le chorégraphe pressenti, Julius Reisinger. Ce dernier, maître de ballet traditionaliste, se trouve vite complètement dépassé par les ambitions « symphoniques » de la musique de Tchaïkovski. Il triture la partition, coupant ici, arrangeant là, si bien que lors de la création, le 4 mars 1877 au Théâtre Impérial Bolchoï, l’œuvre, chorégraphiée par Reisinger, ne rencontre aucun succès : le public de l’époque peu habitué à une musique si symphonique pour le ballet ne comprit pas la richesse de la partition, et la médiocrité de la chorégraphie de Reisinger qui, selon un critique à la dent dure « avait un don remarquable pour agencer des exercices de gymnastique », ne fit qu’achever le désastre… Les premières représentations furent pour le pauvre Tchaïkovski, selon ses propres termes, « une déconvenue humiliante », et le ballet fut finalement retiré de l’affiche.
C’est le chorégraphe Marius Petipa qui, après avoir travaillé avec Tchaïkovski sur “La Belle au bois dormant” et “Casse-noisette”, décide de ressortir “Le Lac des cygnes” de l’oubli estimant qu’il « était impossible d’admettre que la musique de Tchaïkovski fût mauvaise ». Petipa redonne à la musique du compositeur la place qui lui convient, remanie à son tour le livret et l’œuvre ainsi métamorphosée est présentée au public pour la deuxième fois, d’abord à Saint-Pétersbourg puis de nouveau à Moscou sur la scène du Bolchoï. Là, le succès est immédiat et l’œuvre s’envole pour le succès planétaire et intemporel qui ne cessera de l’accompagner.
Malheureusement, Tchaïkovski ne connaîtra jamais cette douce revanche puisqu’il meurt en 1893, deux ans avant le triomphe de son œuvre. Mais Marius Petitpa sera toujours fier d’avoir ainsi réhabilité le ballet de son ami et complice.
Enfin, pour compléter l’histoire mouvementée de ce grand classique avec une drôle d’histoire, il est à noter que les Français n’en ont découvert que des extraits… et seulement en 1911 avec les Ballets russes ! Ce n’est qu’en 1958 que l’ouvrage complet est présenté par une troupe russe au Théâtre du Châtelet dans la version de Vladimir Bourmeister. Celle-ci entre en 1960 au répertoire de l’Opéra de Paris.
Aujourd’hui, c’est le ballet le plus joué au monde et certains passages sont devenus des morceaux d’anthologie. Parmi les morceaux de bravoure les plus attendus des ballettomanes, les fameux 32 fouettés. Improvisés un soir de 1893 par la ballerine italienne Pierina Legnani devant un Petipa médusé, c’est lui qui décide de les intégrer au Lac des cygnes.
Jadis prouesse technique périlleuse pour la danseuse (les scènes était constituées d’un simple plancher), ces fameux 32 fouettés peuvent être exécutés en toute sécurité aujourd’hui, grâce à la technologie des tapis Harlequin, par les Etoiles des quatre coins du monde sous les ovations du public !