Dauberval était arrivé à Bordeaux en 1785, après avoir claqué la porte de l’Opéra de Paris. Il part avec sa femme, une sublime danseuse nommée Mademoiselle Théodore, à Bordeaux qui vient de se doter d’un théâtre neuf – un des plus beaux d’Europe, et qui possède une machinerie exceptionnelle – dans le but de donner naissance à des œuvres qui feront date. De fait, en quelques années le couple devient la coqueluche du public bordelais.
A la Révolution, Dauberval quitte Bordeaux pour Londres et emmène son ballet, qui s’appelle encore Le ballet de paille, et qui deviendra La Fille mal gardée en 1791, lorsqu’il est représenté à Londres où il rencontrera un immense succès qui ne s’est jamais démenti.
Il faut dire qu’avec ce ballet, Dauberval avait fait de son côté, sa révolution : en mêlant danse et pantomime, en choisissant un sujet léger, en composant une « bande-son » avec des airs à la mode, le chorégraphe avait complètement dépoussiéré le ballet classique et avait, mine de rien, posé les jalons de la danse d’aujourd’hui.
Il est vrai qu’en 1789, cette « révolution » était plus simple à faire à Bordeaux qu’à Paris : le public de Bordeaux était un public bourgeois alors que celui de Paris, plus figé, était aristocratique. À Bordeaux, on applaudit un répertoire plus trivial qui préfère le comique au tragique, contrairement à Paris. Cette bourgeoisie appelée à triompher de la Révolution, influençait déjà le répertoire et les êtres bien réels remplaçaient une humanité de dieux et de déesses antiques, pied de nez de la bourgeoisie bordelaise à l’aristocratie parisienne !
Depuis, le ballet a été maintes et maintes fois repris par de grands chorégraphes – Petitpa et Nijinska, entre autres – mais parmi toutes les productions que cette œuvre vénérable a connues, celle qui fut réalisée par Sir Frederick Ashton en 1960 avec le Ballet Royal de Londres est considérée comme la version de référence. Aux traditions russe et française, le chorégraphe introduit les principes du néo classicisme britannique. Il affirme l’humour dont il use avec verve et simplicité, et passe tour à tour du lyrisme délicat de la comédie sentimentale à la gentille satire avec le personnage de la Mère Simone, interprétée par un homme. A cela il magnifie l’œuvre avec la charge émotionnelle de l’expression poétique qu’il distille avec art et finesse.
Chef-d’œuvre éternel, sans ride à près de 230 ans, cette Fille mal gardée mais bien conservée fera encore vibrer longtemps les planchers Harlequin du monde entier… et le cœur du public !