En corps célèbre la danse
Le nouveau long-métrage de Cedric Klapisch conçu autour de Marion Barbeau, première danseuse à l’Opéra de Paris, est une ode passionnée à toutes les formes de danse.
L’ouverture d’En corps ne manque ni d’audace, ni de panache. Dix minutes d’une représentation de La Bayadère, sans qu’on devine de quoi va parler le film. Un parti pris par lequel Cédric Klapisch place le spectateur en position active, l’entraîne dans ce qui l’a conduit à imaginer et tourner ce film. Sa passion pour la danse qui s’était déjà exprimée à travers divers documentaires et captations mais jamais par la fiction : « Je voulais imposer le fait de regarder de la danse, donc de ne pas être distrait par des dialogues. J’ai repris les techniques du cinéma muet, en faisant confiance à la danse et au langage du corps. Comment faire rentrer les spectateurs dans le récit sans passer par la parole ? C’était un défi passionnant… C’est un plaisir inouï de filmer la danse mais il faut être esthétique tout en étant narratif, ainsi que le disait Scorsese pour ses films. La plus grande difficulté c’est de filmer les pieds, car c’est le départ du mouvement. Ils sont soit les appuis, soit l’impulsion, soit l’ancrage. »
Klapisch, passionné de danse dès l’adolescence
Mais la danse, Cédric Klapisch connaît bien ! A 14 ans, ses parents lui prennent un abonnement au Théâtre de la Ville et le jeune Cédric découvre ainsi Pina Bausch, Carolyn Carlson, Merce Cunningham, Bob Wilson… Et comme si cela ne suffisait pas, il est au lycée avec un jeune homme nommé Philippe Découflé… qui fait appel à lui quelques années plus tard pour les JO d’Alberville où il avait conçu les chorégraphies et les tableaux de la cérémonie d’ouverture ! Et la passion de la danse ne l’a jamais quitté : lors du tournage des « Poupées Russes », il en profite pour s’échapper au Théâtre Marinsky à Saint-Pétersbourg ou au Bolchoï à Moscou. Enfin, pendant trois ans, il suit le travail de l’étoile Aurélie Dupont et la vie dans les coulisses de l’Opéra de Paris pour réaliser le documentaire Aurélie Dupont, l’espace d’un instant.
Mais la grande originalité d’En corps, outre le fait d’être un film consacré à la danse – ce qui n’est pas si courant -, est qu’il est interprété par de vrais danseurs. Inverse exact de Black Swan où Natalie Portman est doublée dans les scènes de danse et joue à être danseuse dans les scènes d’action, En corps met en scène danseurs et comédiens. Du coup, les espaces de tournages choisis sont de véritables espaces de danse et non pas de simples studios. A noter que les endroits choisis – Halle du 104, Théâtre du Châtelet et studios de la Ménagerie de Verre sont tous équipés de tapis de danse Harlequin. Logique pour cette histoire où il est question de lésions et du quotidien des danseurs !
Face caméra
Héroïne lumineuse, la première danseuse de l’Opéra de Paris Marion Barbeau incarne Elise qui apprendra à se relever et à se reconstruire pour continuer à aller de l’avant. Un rôle que la jeune danseuse a immédiatement fait sien : « Quand Cédric m’a annoncé que j’avais le rôle, un mois après les essais, j’ai ressenti un immense apaisement. Je m’étais dit que cette expérience serait un plus, que ce n’était pas mon métier, mais en fait, j’en crevais d’envie… », se souvient-elle. Le goût pour le jeu et l’attraction de plus en plus forte pour le contemporain lui ont donné envie de cesser, pendant douze mois, et pour la première fois de sa carrière, toute activité avec l’Opéra de Paris. Un vrai pari : « En tant que première danseuse, c’est paradoxalement le moment où j’allais aborder tous les rôles. »
Quand la réalité dépasse la fiction
Et même si, contrairement à l’héroïne du film, Marion Barbeau n’a pas connu de blessure grave l’écartant de la scène, réalité et fiction se rejoignent avec la présence dans sa vie comme dans le film de Hofesh Shechter et de sa troupe. En effet, elle qualifie de « vrai tournant » sa rencontre avec l’artiste israélien qui avait été invité à l’Opéra de Paris en 2018 pour l’entrée au répertoire de The Art of Not Looking Back… dont un certain Cédric Klapisch avait fait la captation vidéo. Décidément, il n’y a pas de hasard ! « La collaboration avec Hofesh a changé ma vie, me donnant le goût du contemporain », explique Marion Barbeau qui danse d’ailleurs actuellement, pour quelques jours encore sur la scène du palais Garnier, la pièce In Your Rooms, qui vient elle aussi d’entrer au répertoire, et dans laquelle elle dévoile toute sa puissance fougueuse.
Le mélange entre fiction et réalité ne s’arrête pas là puisque le film fait intervenir, comme des clins d’œil fraternels, la Quadrille Marion Gautier de Charnacé et le Danseur Etoile Germain Louvet, tous deux camarades de Marion à l’Opéra de Paris.
Cette ode à la danse est aussi une ode au courage et à l’optimisme. Un courage et un optimisme qui sont d’ailleurs inscrits au cœur même de la danse : « La danse, c’est comme la musique, explique Cédric Klapisch. Il y a un côté magique dans la danse. Le mystère des corps. Le corps qui s’exprime. La danse a une énergie communicative. »
Energie que le cinéaste a su capter et faire partager comme personne.